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Et si le XXIe siècle devait se comprendre à l'aune du XVIe ?

Raphaël LLorca



Après Les ingénieurs du chaos (2019) et Le mage du Kremlin (2022), Giuliano da Empoli revient avec un court récit qui décortique les nouvelles règles du jeu politique.


Sur la forme, c'est un tour de force : ce texte est cinématographique. Dès l'intro, il annonce vouloir fonctionner "par images plutôt que par concepts", et c’est vrai : ses points d’entrée, ce sont des lieux, des personnages, des scènes. Le Palais de verre de l'ONU, un diner lunaire à la Fondation Obama, la trompeuse "douceur infinie" du visage de MBS.


Sur le fond, l’auteur voit des résonances entre notre époque et celle de Machiavel : ce qui intéressait le Florentin, c'était de comprendre comment le pouvoir pouvait s’affirmer au milieu du chaos, quand tout le monde se bat contre tout le monde et que la force redevient la seule règle du jeu. De ce point de vue, le moment politique de déstabilisation maximale que nous traversons n’est qu’un retour à la normale, écrit Da Empoli, "l’anomalie ayant plutôt été la courte période pendant laquelle on a pensé pouvoir brider la quête sanglante du pouvoir par un système de règles".


Par tableaux successifs, on voit progressivement se dessiner ce qui constitue la thèse centrale du livre : pour comprendre nos adversaires - Trump, les "seigneurs de la Tech" - Da Empoli nous explique qu’il faut les approcher comme des borgiens, comprendre : des descendants de la famille Borgia, qui a longtemps régné sur Rome, à coups d’empoisonnements, de fratricides, de luttes acharnées pour le pouvoir. Son plus illustre représentant ? César Borgia (1475-1507), qui a justement servi de modèle à Machiavel pour son Prince.


De cette comparaison historique, l’auteur en tire plusieurs leçons.


Leur loi de comportement stratégique ? L’action, et mieux encore : l’action irréfléchie. C’est avec elle que coïncide l’apogée du pouvoir, "la seule à même de produire l’effet de sidération sur se fonde le pouvoir du prince".


Leur environnement privilégié ? Le chaos. C’est une caractéristique fondamentale que partagent les Borgia de tous les temps : "ils ne se contentent pas de résister à l’adversité, ils tirent leur force de l’inattendu, de l’instable et du belliqueux".


Leur univers mental ? Un monde sans limites : les borgiens ne tolèrent aucune limite à leur volonté de puissance – ce qui explique que, dans le nouveau monde, "tous les processus en cours seront poussés jusqu’à leurs conséquences extrêmes".

A mon sens, c'est la description de l’esthétique, des pratiques et de la psyché borgiennes qui fait de ce récit un authentique livre de combat. Gageons qu’il contribuera à nous sortir de cet état de sidération collective qui, jusqu’ici, nous empêchait de penser juste.

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