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Giorgia Meloni sur la ligne de crête face aux États-Unis de Donald Trump

Jean-Pierre Darnis

L’Italie n’a jamais cherché à rompre son lien fort avec les États-Unis, quelles que soient les personnalités au pouvoir à Rome comme à Washington. Cette tendance se poursuivra lors du second mandat de Donald Trump, mais le gouvernement présidé par Giorgia Meloni, qui peine à consacrer 2 % de son budget aux dépenses militaires et qui redoute la hausse des droits de douane qu’a promise le prochain président américain, devra jouer finement au cours de ces prochaines années.

 


La relation avec les États-Unis est une composante fondamentale de la politique étrangère de la République italienne, dont l’atlantisme est un facteur constitutif et jamais remis en cause depuis la Seconde Guerre mondiale. Le choix du camp occidental, celui de la démocratie libérale et d’une défense intrinsèquement conçue au sein de l’OTAN constituent les repères de cet engagement présenté comme indéfectible pour Rome.

L’atlantisme est toujours apparu comme une condition sine qua non pour accéder au gouvernement en Italie, spécialement pour des forces politiques nouvelles. Ce fut le cas de l’actuel gouvernement : à son arrivée aux affaires en octobre 2022, Giorgia Meloni, la dirigeante de Fratelli d’Italia, s’est empressée d’afficher sa bonne entente avec Joe Biden. Il ne fait nul doute que la présidente du Conseil italien cherchera également à entretenir une bonne relation avec Donald Trump – un modèle pour une partie de la droite italienne depuis son premier mandat.

 

Les rapports entre la droite italienne et le trumpisme

 

Au sein de l’actuelle coalition de droite, ce sont avant tout Matteo Salvini et sa Lega qui s’autoproclament paladins pro-Trump en Italie. Cette position est une constante pour la Lega et son leader, et a été maintes fois réitérée lors du gouvernement populiste Lega-M5S de 2018 à 2019, en place lors du premier mandat Trump aux États-Unis.

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 Il faut cependant relever que les appels du pied de la part de Matteo Salvini n’ont pas été vraiment suivis d’effets côté américain, la relation étatique étant à l’époque gérée par le leader du Mouvement 5 étoiles, Giuseppe Conte. C’est justement le M5S, fondé par Beppe Grillo, qui a longtemps incarné le populisme italien et était à cette époque souvent associé au trumpisme.

Quand Donald Trump est élu en 2016, la droite italienne regarde son cas avec beaucoup d’intérêt, dans un contexte où le leadership exercé par Silvio Berlusconi est déclinant. Cette projection vers Washington représente une nouveauté pour un parti comme Fratelli d’Italia, dont la tradition politique était historiquement caractérisée par des formes variées d’anti-américanisme.

En 2018, le stratège ultra-conservateur américain Steve Bannon établit des contacts avec Matteo Salvini et Giorgia Meloni en vue d’opérer une révolution conservatrice en Europe. Cependant, la défaite électorale de Trump en 2020 puis l’assaut du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2021 représentent un tournant : la droite italienne devient beaucoup plus prudente à l’égard de l’ex-président.

Après la nomination de Mario Draghi à la tête du gouvernement italien en 2021, le parti de Giorgia Meloni s’oppose à la coalition transversale qui soutient Draghi tout en cherchant à construire une image de respectabilité en vue des consultations électorales, ce qui passe notamment par une nette réduction des références positives à Trump.

Après l’arrivée de Meloni au pouvoir en 2022, on assiste à un certain réchauffement des rapports avec le Parti républicain. Par exemple, le député Fratelli d’Italia Antonio Giordano était présent lors de la convention républicaine de Milwaukee en juillet 2024, qui voit Donald Trump officiellement nommé candidat du parti. La relative probabilité de la victoire de Trump en 2024 a relancé la volonté italienne de rechercher des connexions avec le camp trumpien, dans une démarche plus pragmatique que véritablement idéologique.

 

Le retour de Donald Trump : un risque pour l’économie italienne

 

Après l’annonce de la victoire de Trump, Giorgia Meloni a eu, à l’instar d’Emmanuel Macron, une conversation téléphonique avec l’ex-futur président américain. Plusieurs sujets suscitent une vive inquiétude à Rome.

Tout d’abord, la question du rôle de l’OTAN en Europe apparaît comme fondamentale aux yeux des Italiens, profondément préoccupés par un éventuel retrait américain. L’Italie est un « mauvais élève » de l’OTAN en matière de dépenses militaires avec un budget de la défense qui représente environ 1,5 % de son PIB, bien loin du seuil des 2 % défini comme cible pour l’ensemble des membres en 2006 et exigé par Donald Trump durant son premier mandat.

Ensuite, les milieux économiques italiens redoutent les effets de la mise en place de droits de douane supplémentaires annoncée par Donald Trump. L’Italie tire une grande partie de ses richesses des exportations, et le solde positif de sa balance commerciale est une donnée qui a de nombreuses implications politiques et sociales. Le marché américain est un débouché important pour de nombreux industriels italiens et il convient pour Rome de défendre cet accès, et ce d’autant plus que ces producteurs apparaissent comme autant de clientèles pour les partis de la coalition de droite, en particulier dans le nord de la péninsule.

En Italie, on craint également les ricochets négatifs d’une guerre commerciale entre Washington et Pékin avec des scénarios dans lesquels une Chine bloquée sur le marché américain déverserait sur l’Europe son trop-plein productif, voire même dans le cas où l’Europe subirait des injonctions américaines dans ses rapports avec la Chine, ce qui irait à l’encontre de l’intérêt de l’UE.

Enfin, il faut également relever que Donald Trump s’est distingué dans le passé par son absence d’intérêt pour l’Afrique. Le gouvernement Meloni a fait du « plan Mattei » pour l’Afrique une priorité de sa politique étrangère et, ici encore, devra probablement privilégier l’échelon européen pour rechercher la continuité de cette action.

Giorgia Meloni va certainement tenter de cultiver une bonne relation avec Donald Trump et ses équipes, en s’appuyant par exemple sur ses rapports avec Elon Musk, qu’elle a rencontré à deux reprises et qui avait également participé à la fête de l’organisation de jeunesse de Fratelli d’Italia, Atreju, en décembre 2023. Cette intervention avait d’ailleurs donné lieu à une interview plutôt décousue qui n’apparaissait pas véritablement comme une plate-forme politique commune, aux delà des positions de Musk et de Meloni en faveur de la natalité.

La recherche du dialogue avec Donald Trump de la part de Giorgia Meloni obéit donc à la nécessité d’une approche transactionnelle pour défendre les intérêts italiens et n’apparaît que de manière limitée comme le résultat d’une convergence idéologique. Il convient de rappeler que le nationalisme de Giorgia Meloni est synonyme d’une méthode, celle qui consiste à considérer l’échelon national comme prioritaire et à penser à l’ensemble des relations bilatérales comme autant de moment de marchandages, ce qui se fait au détriment de l’action multilatérale. En somme, il s’agit d’une conception de la politique étrangère quelque peu étriquée, qui correspond à une vision de jeu à somme nulle.

Côté italien, on essayera probablement de faire jouer les relais de la communauté italo-américaine pour chercher à obtenir le meilleur traitement commercial possible, et il serait certainement avisé côté européen de rechercher une position commune face à l’éventualité de ces marchandages bilatéraux qui pourraient malmener la cohésion de l’Union.

 

L’importance de la dimension européenne pour l’Italie

 

Pour le gouvernement italien, à l’exclusion de Matteo Salvini, la dimension européenne est plus que jamais fondamentale, ne serait-ce que comme nécessaire bouclier de protection à l’égard des potentiels effets de bord de la présidence Trump. En ce qui concerne la défense, l’Italie vise désormais à atteindre le seuil des 2 % du PIB consacrés aux dépenses militaires à travers un accroissement du budget européen d’investissement, qui irait alors au-delà des limites fixées par le pacte de stabilité. En matière économique, il convient de rappeler la continuité entre les politiques engagées par Mario Draghi et Giorgia Meloni, un aspect de convergence que l’on retrouve en filigrane de l’intervention de Mario Draghi lors du sommet européen de Budapest le 8 novembre 2024. Pour l’Italie, l’Europe est à la fois un marché stratégique et un apport financier essentiel, en particulier du fait de l’apport essentiel à l’économie nationale du grand plan de relance européen « Next Generation EU ».

Cette importance accordée au cadre économique européen transparait également dans la désignation du ministre italien des Affaires européennes Raffaelle Fitto au poste de commissaire européen chargé de la cohésion et des réformes, avec en sus une vice-présidence exécutive de la Commission. Raffaelle Fitto, 55 ans, qui a commencé sa carrière politique au sein de la Démocratie chrétienne, représente un courant modéré au sein de la droite italienne. Après avoir longtemps appartenu au centre-droit berlusconien, il a rejoint Fratelli d’Italia en 2019. Il apparaît comme une personnalité politique plutôt transversale et consensuelle, comme l’illustre le soutien relatif que lui accorde le Parti démocrate en vue de sa nomination européenne.

La désignation de cet ancien membre du Parti populaire européen (qui regroupe au Parlement européen les partis de la droite traditionnelle) met en évidence une forme de continuité du gouvernement Meloni avec les précédentes majorités de droite en Italie, même si les équilibres des forces entre les trois familles politiques de la droite italienne ont changé depuis l’époque de Silvio Berlusconi.

La volonté de nomination de Raffaelle Fitto à la vice-présidence de la Commission constitue également un signal de dialogue de la part de la présidence Von Der Leyen. On avait déjà relevé combien la cheffe du gouvernement italien avait été soucieuse de cultiver une relation institutionnelle de qualité avec la présidente de la Commission européenne, qu’elle a tenu à associer à des démarches clés pour l’Italie, que ce soit en Tunisie ou en matière de politique africaine.

Le gouvernement italien a joué le jeu de la collaboration et du dialogue avec Bruxelles. Cet aspect a également une traduction politique dans le positionnement du groupe des Conservateurs et réformistes au Parlement européen (CRE), dont les Fratelli d’Italia sont la première force et qui apparaissent aujourd’hui comme une force de complément par rapport à la « majorité Ursula ».

L’élargissement de cette majorité vers l’aile droite suscite une ferme opposition de la part des socialistes européens, qui souhaitent la candidature de Fitto ; dans le même temps, le Parti populaire européen (PPE) rejette la socialiste espagnole Teresa Ribera, qui a hérité du portefeuille de la transition écologique et la concurrence. Dans ce contexte, des doutes pèsent sur la capacité d’Ursula von der Leyen à obtenir la composition de la commission qu’elle souhaite…

Les résultats des élections américaines et le panorama européen – coalition minoritaire en France, instabilité politique en Allemagne – sèment le doute au sein de l’UE. Dans ce contexte, le gouvernement italien apparaît comme relativement stable par rapport aux exécutifs allemands ou français. Ancré dans une dimension européenne plus que jamais nécessaire pour l’Italie, ne serait-ce que d’un point de vue pragmatique, il exprime une capacité de dialogue intra-européenne et transatlantique qui peut constituer une ressource politique dans la phase actuelle.

Certes, la vision trumpiste est certainement centripète en ce qui concerne l’UE, et on peut prévoir une volonté de diviser pour mieux régner de la part de la future administration américaine. La position italienne a toujours été de concilier la dimension transatlantique avec celle européenne, l’une ne devant pas exclure l’autre, et l’exécutif Meloni ne semble pas devoir déroger à cette ligne traditionnelle. Il lui faudra cependant gérer ses propres contradictions entre la revendication nationaliste qui entraîne une posture transactionnelle et les bénéfices du jeu collectif européen dont le Plan de Relance représente le signe le plus manifeste. De ce point de vue, l’institutionnalisation de la relation franco-italienne au travers du Traité du Quirinal représente un outil opportun car ce texte concilie l’approche bilatérale avec la recherche de compromis dans le cadre européen.

 

 

Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.


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